Depuis un certain temps, la magistrature burkinabè traverse une impasse sans précédent. En effet, de mémoire des burkinabè, à part le dégagement par le Conseil National de la Révolution (CNR) de magistrats pour leur opinion, la magistrature burkinabè n’a jamais autant reculé comme cela l’est depuis la décision du Conseil d’Etat du 10 juillet 2018 remettant en cause les décisions du Conseil de discipline du Conseil Supérieur de la magistrature.
Pourtant, l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ainsi que les états généraux de la justice tenus du 24 au 28 mars 2015 et le pacte national pour le renouveau de la justice, qui en est résulté, la déconnexion du pouvoir judiciaire de l’exécutif, ont semblé donner une lueur d’espoir. Outre le fait que l’article 6 du pacte national pour le renouveau de la justice ait disposé que : « …le traitement accordé au pouvoir judiciaire doit permettre aux détenteurs de ce pouvoir d’être au même niveau de considération que les détenteurs du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif… » repris par l’article 72 de la loi organique n°050-2015/CNT du 25 août 2015 portant statut de la magistrature, d’autres engagements avaient été également pris dont l’assainissement du monde judiciaire en le débarrassant de la corruption et de l’impunité.
Ainsi, se fondant sur l’article 17 de la loi organique n°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, qui dispose que : « le conseil supérieur de la magistrature peut prendre des résolutions dans les domaines entrant dans ses attributions. Ces résolutions ont une valeur contraignante », une décision a été prise le 28 juillet 2016, suite à une délibération du Conseil supérieur de la magistrature, de créer une commission d’enquête chargée d’investiguer sur les allégations de manquements à l’éthique et à la déontologie par certains magistrats. Du reste, faut-il le rappeler, une telle initiative largement saluée tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la magistrature n’est pas la première, la Commission mise en place par le Conseil supérieur de la magistrature en 2005, présidée par Madame DAKOURE pouvant être évoquée à titre illustratif.
Le Conseil supérieur de la magistrature composé de membres de droit, de membres élus, de membres représentant les syndicats de magistrats, de membres avec voix consultative, d’une personnalité désignée par le Président du Faso, est en même temps consacré par la loi organique portant organisation, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la Magistrature, Conseil de discipline qui peut procéder à des enquêtes.
Dans le cadre de la commission d’enquête mise en place sur cette base, il a été tenu compte de la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Ainsi, un des militants du SMB fut désigné par consensus président de ladite commission, qui a eu pour mission de mener des investigations sur trois magistrats nommément cités, d’investiguer sur le cas de la Cour de Cassation dans le dossier des mandats d’arrêts, sur les dossiers qui ont défrayé la presse et enfin, de faire, face à l’inertie de l’Inspection des Services judiciaires de l’époque, le point des dossiers pendants afin que chaque mis en cause soit fixé sur son sort.
Le Président du Faso, certainement attaché à la lutte contre les atteintes à la déontologie, a « enjoint » la Présidente du Conseil Supérieur de la magistrature de formaliser la mise en place de la Commission d’enquête. Opérationnalisée, celle-ci a déposé son rapport le 07 juillet 2017, lequel rapport a été remis au Ministre de la Justice, qui, le 24 octobre 2018, a transmis ledit rapport, après enquête complémentaire par l’Inspection des services judiciaires, à la Présidente du Conseil supérieur de la magistrature, Présidente du Conseil de discipline pour suite à donner.
Au cours de quatre (04) sessions successives, le Conseil de discipline dont la composition a été déclinée plus haut, a examiné les dossiers impliquant trente-quatre (34) magistrats contre qui pesaient des présomptions graves de violation des règles d’éthique et de déontologie ayant jeté le discrédit sur l’institution judiciaire. Pour chacun de ces magistrats un rapporteur a été désigné par décision du Président du Conseil de discipline parmi les membres dudit Conseil. Curieusement, ce n’est qu’à la quatrième session, soit le 04 juin 2018, que le Conseil de discipline a pris connaissance du contenu d’une lettre, signée par le Président du Faso.
Dans cette correspondance dépourvue de façon inhabituelle des armoiries du Burkina Faso, adressée à la Présidente du Conseil supérieur de la magistrature, le Président du Faso félicitait le Conseil supérieur de la magistrature pour les initiatives en cours mais s’inquiétait de ce qu’il a qualifié de « voies de fait et d’illégalité » que le Conseil de discipline aurait commises notamment par le sort réservé aux décisions de la Présidente de la Cour (par ailleurs mise en cause) récusant certains de ses membres et à l’arrêt de sursis à exécution du Conseil d’Etat. Il a conclu en invitant le Conseil de discipline « à prendre toutes les dispositions utiles pour que tous les actes posés le soient dans la légalité républicaine et suivant les règles de procédure administrative et judiciaire ».
Pourtant, le Conseil Supérieur de la magistrature avait anticipé, en arrêtant le 22 décembre 2017 les grandes orientations de la tenue des sessions du Conseil de discipline. Voilà que, sans échanger avec le Conseil Supérieur de la magistrature, l’on qualifie à dessein ses actes de voies de fait alors même que ledit Conseil est l’organe suprême de veille et de contrôle en matière d’éthique et de déontologie des magistrats.
Se pose alors la question de savoir pourquoi ce n’est qu’à la quatrième session seulement, session pour laquelle les magistrats mis en cause dans l’affaire des mandats d’arrêt de la Cour de cassation étaient cités à comparaître, qu’une telle lettre a été produite ? Cette interrogation est très légitime d’autant plus que la Constitution a bien prévu un cadre dans lequel toutes les questions touchant la justice peuvent être traitées en présence du Président du Faso, en sa qualité de garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Le bureau national du Syndicat des Magistrats burkinabè (SMB) s’appuyant sur ses statuts ainsi que sur les dispositions de l’article 35 du code de déontologie des magistrats, estime que c’était une lettre inopportune qui n’est ni plus ni moins qu’une manière de soutenir ceux-là qui ne veulent pas l’assainissement du milieu judiciaire, et que la décision intervenue le 10 juillet 2018 achève de convaincre qu’il y a une volonté manifeste d’entretenir et de garantir la culture de l’impunité au sein de la justice, au mépris des engagements pris lors des états généraux de la justice.
Le bureau national du SMB, tout en dénonçant une telle attitude, estime que seul le Conseil de discipline constitue le cadre dans lequel le sort de tout magistrat mis en cause doit être fixé quel que soit son rang ; comme cela l’a été lors des quatre sessions du Conseil de discipline, tenues successivement du 19 au 24 février, du 26 au 31 mars, du 14 au 19 mai 2018, poursuivie le 21 mai et du 4 au 9 juin 2018 ; les principes du contradictoire et du droit à la défense ayant été respectés.
Il nous faut éviter que des comportements qui heurtent l’éthique et la déontologie prospèrent dans le corps de la magistrature pour influencer de manière inappropriée les décisions. Le terrain de la justice ne doit pas être un terreau où se dissimulent et se perpétuent des comportements contraires aux bonnes pratiques généralement admises. Combattre ces comportements, nous évitera assurément de patiner, de faire du surplace et ne pas être en déphasage avec notre serment et les aspirations de notre peuple.
C’est pourquoi, le SMB condamne avec la dernière énergie :
1) La paralysie volontairement créée et entretenue du fonctionnement du CSM ; en effet, le mandat des membres sortants du CSM est échu depuis le 22 juin 2018 ; mais jusqu’à ce jour, les membres entrants n’ont été convoqués pour se réunir autour des questions essentielles relatives au pouvoir judiciaire ; un tel dysfonctionnement n’a été constaté la dernière fois qu’en 2001 dans notre pays ; au même moment, paradoxalement, l’ont fait diligence pour la tenue des activités accessoires du CSM (ateliers et séminaires) ;
2) L’absence de volonté pour assainir le milieu judiciaire et interpelle à cet effet le Chef de l’Etat, garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire ;
A l’orée de la rentrée judiciaire 2018-2019, le SMB invite tout magistrat à être utile au peuple au nom de qui la justice est rendue, en défendant quel que soit le prix à payer, les bonnes pratiques ainsi que l’indépendance bien comprise du pouvoir judiciaire débarrassé de toute corruption.
Non à l’impunité au sein de la magistrature !
Oui à un pouvoir judiciaire respectueux de l’éthique et de la déontologie !
Ouagadougou, le 25 août 2018
Pour le bureau national
Le Secrétaire général
Christophe COMPAORE