Dans cette lettre ouverte, Sékou Traoré, réalisateur, producteur et directeur de Production tire la sonnette d’alarme sur la gestion du milliard de francs CFA accordé, en urgence, par le président du Faso pour soutenir le cinéma burkinabè à l’occasion du cinquantenaire du FESPACO en 2019.
« Lettre ouverte à propos du milliard… »
A Monsieur le Conseiller Spécial du Président du Faso pour les Affaires Culturelles
A Monsieur le Ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme
A Monsieur le Directeur de la Cinématographie et de l’Audiovisuel
A Monsieur le Président de l’Union Nationale des Cinéastes du Burkina
J’étais assis comme des milliers de burkinabé en train de suivre les dernières minutes du palmarès du Fespaco 2019, (pas 2017, je dis bien 2019)
Aucun film burkinabé de long métrage n’était « étalonable » ni en or, ni en argent, ni même en bronze, puisqu’aucun film burkinabè ne faisait partie de la Compétition Long Métrage Cinéma.
Les séries TV et court métrage avaient subi le même fiasco, en se consolant comme d’habitude avec des 3ème et 4ème places. Une fois de plus Fespaco rimait avec fiasco.
C’est alors que le Président…du Faso se pencha à l’oreille de son Ministre de la Culture pour comprendre ce qui s’était passé.
– Le Président : vous avez fait quoi avec mon milliard ?
Le Ministre : euh…en fait on…a donné 325 millions à 2 long métrages chacun…mais ils n’ont pas été sélectionnés.
Le Président : et c’était les meilleurs du Burkina ? Où sont passés tous les cinéastes de ce pays ?
…silence
Le Président : je ne comprends pas, où est le Directeur du Cinéma ?
Directeur du Cinéma : en fait nous avons lancé un appel à projets, mais ceux qui ont participé c’est ceux qui étaient à jour de leurs impôts et de la CNSS, les autres n’étaient pas à jour de tout ça.
Le Président : Ah oui, pendant qu’on y est, est-ce qu’ils étaient à jour de leurs factures Sonabel, de leurs factures ONEA, de leurs loyers ? Attends, je parle au Directeur du Cinéma ou à Madame la Ministre des Finances ?
…silence
Le Président : vous me restituez mon milliard quand, vous et votre Ministre ?
Pour ceux qui n’ont pas compris ces échanges imaginaires entre Son Excellence le Président du Faso, et les responsables actuels de la culture, je vous fais un petit « rewind » pour que compreniez.
Il y a de cela quelques mois, un groupe de cinéastes est allé voir le Président du Faso pour lui expliquer la situation critique que traverse le cinéma burkinabé, et lui demander un appui spécial de un (1) milliard de francs cfa.
Le Président a bien voulu accorder ce milliard afin que le Burkina puisse avoir des films à la hauteur du Cinquantenaire du Fespaco qui correspond à l’édition de 2019.
En rappel depuis 1993 avec « Buudiam » de Gaston Kaboré, aucun autre film burkinabè n’a remporté le fameux étalon de Yennega, pendant que les cinéastes d’autres pays l’ont même remporté 2 fois (Souleymane Cissé, Alain Gomis) et d’autres pays l’ont embarqué 3 fois (Mali, Sénégal, Maroc).
Le cinquantenaire qui se profile risque de ressembler encore aux autres Fespaco, dans ce que nous appelons encore Pays du Cinéma, qu’il convient d’appeler maintenant Pays du Fespaco, à l’allure où vont les choses.
Par rapport à cet appui spécial du Président, un appel à propositions a été lancé, avec à la clé, deux longs métrages qui seront subventionnés à hauteur de 325 millions de fcfa chacun, les autres catégories de films, à savoir, courts métrages, séries TV, documentaires etc… se partagent les 300 millions environ restants.
Mais le but de cet article, c’est d’attirer l’attention de son Excellence le Président du Faso, et des autres autorités de l’Etat citées plus haut, et en prenant tous les cinéastes à témoin, sur une des clauses de cet appel à projets. C’est la clause sur l’obligation pour tout cinéaste ou société de production de films d’être à jour vis-à-vis des impôts et de la Caisse de Sécurité Sociale avant de pouvoir soumissionner à cet appel à projets.
Je ne suis pas en train de dire de faire une quelconque dérogation aux cinéastes, non.
Les cinéastes sont des citoyens comme les autres ils doivent payer leurs impôts, (on pourra revenir dans un autre article sur les crédits d’impôts octroyés sous d’autres cieux pour encourager la production cinématographique, mais ça c’est un autre débat).
Je dis seulement ceci, ce milliard a été débloqué pour résoudre une situation d’urgence, face à un objectif clair, avoir des films dignes de ce nom, au prochain Fespaco. Et nous sommes à sept mois de la clôture de la sélection de ce prochain Fespaco (31 octobre date limite, tous les films doivent être prêts ou au moins leurs copies de travail ).
Alors permettez au maximum de productions de soumettre leurs projets, nous avons des centaines de jeunes cinéastes de talent, des dizaines de cinéastes séniors de talent, pourquoi les empêcher de participer à cet appel par une telle clause. Cette clause est-elle efficace, opportune, utile face à l’objectif visé par le Président ?
Ma proposition est très simple, permettez au maximum de cinéastes de participer à l’appel pour avoir un maximum de bons projets. Et quand un projet est retenu, au moment du premier déblocage, si le lauréat doit recevoir 60%, il recevra d’abord 40% par exemple, il ira se mettre à jour de ses obligations fiscales et de CNSS, avant de rentrer en possession du reliquat de 20% de ce premier déblocage.
Qu’est-ce que le Ministère des Finances aura perdu ? Rien
Qu’est-ce que le Ministère de la Culture aura perdu ? Rien
Qu’est-ce que son Excellence Monsieur le Président du Faso aura gagné ? Tout, sinon la garantie que son argent a été intelligemment utilisé, que toutes les précautions ont été prises pour que le pays ne baisse pas la tête lors de ce Cinquantenaire.
Est-ce que je demande l’impossible, Monsieur le Conseiller spécial du Président pour les Affaires Culturelles ? Non, juste la souplesse face aux objectifs que nous visons tous. Et nous sommes à une semaine de la clôture de l’appel à projets en question.
Ouvrons les yeux, la compétition se passe avec toute l’Afrique et la Diaspora, et les pays comme le Maroc, la Tunisie , l’Afrique du Sud, et même le Mali sont déjà en tournage, ou en phase de postproduction. Mais on peut aussi attendre le bicentenaire du Fespaco…
Très Cordialement à vous tous.
Sékou Traoré
Réalisateur/Producteur
Directeur de Production sur les tournages
burkinabé et étrangers.